Tuesday, September 8, 2009

Se souvenir pour en dire le moins possible - 70 ans?

01.09.09
LE MONDE CHRONIQUES

Cette chronique est écrite à Jérusalem en ce 1er septembre/19 août (cal. julien) - 12 Ellul 5769 alors que la lune atteint sa plénitude mensuelle. Nous avançons donc, à travers ce mois juif de Ellul consacré à la réflexion, à l’amélioration de la qualité d’une vie personnelle vers l’année 5770, (18 septembre prochain). C’est le Ramadan qui incite aussi par le jeûne et la prière à comprendre le sense de sa vie et de la destinée humaine au regard du Dieu Miséricordieux. Enfin, dans la tradition des Eglises byzantines orientales, le 1er septembre marque le renouveau de l’année liturgique orthodoxe selon les occidentaux, donc ce sera le 14/09 à venir pour l’Eglise de Jérusalem.

J’écris dans divers blogs et dans Le Monde. Cela suffit largement. D’autant que le propos n’est sûrement pas de faire le perroquet, mais d’apporter et de partager des idées sur la foi dans la société. Le 31/08 au soir, je rappelle incidemment en anglais et en hébreu que, voici 70 ans, l’Allemagne nazie attaquait la Pologne avec l’aide de slovaques. Les médias israéliens commencent une longue nuit et journée de mémoire: l’attaque de la Pologne a véritablement signifié le lancement du processus de la Shoah, même si les camps existaient déjà. Le 17 septembre, l’Armée Rouge envahissait la Pologne provoquant la mise en pièce de la réalité polonaise dont les frontières furent toujours contestées et révisées au gré des péripéties séculaires.

Israël se souvient de manière très incarnée de cette date : elle a marqué la ruine d’une civilisation. Il est très actuel, en Israël, de revenir au yiddish. Les médias locaux ont diffusé des dizaines de commentaires sur ce jour et ceux qui suivirent. Les rescapés ont décrit l’extrême fragilisation de la communauté juive lors de l’invasion. La Pologne incluait alors une partie de la Lithuanie, de la Biélorussie devenue Belarus et l’Ukraine. La Prusse orientale semble rayée des mémoires aujourd’hui. C’est sans doute une erreur pour l’avenir geo-stratégique. Curieusement la terre et les hommes sont liés par une mémoire que l’on ne peut nier sans pudeur.

Le président Shimon Peres est lui-même, comme la plupart des membres fondateurs de l’appareil politique de l’Etat d’Israël, un homme de langue, de culture est-européennes et polonaise, frontalière de la Russie et de l’Ukraine transcarpathique. Les médias israéliens ont rappelé aujourd’hui l’abandon historique de la Pologne par la France et de la Grande-Bretagne au moyen d’accords de pacotille. En 1938, la France avait renvoyé en Pologne les mineurs du Nord, les poussant à un charbon dont peu survécurent. La Grande-Bretagne comme l’Union Soviétique ont alors défini des positions de grandes puissances que les Alliés continuent aujourd’hui d’incarner par une sorte de scission constante géographique et humaine de l’Europe telle qu’elle marqua son empreinte au 11ème siècle. L’Europe ne parvient pas à sortir de cette fracture de Velehrad où les Francs latins persécutèrent Cyrille et Méthode, apôtres de Slaves.

Le monde yiddish est célébré cette année en raison du 150è anniversaire de Schalom Aleichem (souvenez-vous: “Un violon sur le toît”). La langue, la civilisation d’un judaïsme yiddish ayant fréquenté le monde polonais et l’Orient chrétien jusqu’à partager des intuitions fortes (hassidisme et hésychasme) furent alors anéanties. Or, elle a survécu par notre hébreu contemporain issu de ces régions dévastées. Il en a hérité la manière d’exprimer les idées. L’hébreu moderne est une sorte de “langage” néo-hébraïque profondément imprégné de yiddishismes et de comportements talmudiques en milieux slaves. De 1880 à ce jour, les vagues d’immigrants n’ont cessé de nourrir, de manière ininterrompue et très particulière, l’embryon de la société israélienne.

En Israël, le 1/09 est largement traité ici comme élément historique crucial dans la destinée juive d’Europe. En revanche, il semble que, par exemple en France, les rafles d’août 1942 ou la rentrée difficile des scolaires en Israël prennent le dessus, dans certains milieux concernés, sur le fait que la catastrophe fut lancée voici précisément 70 ans, en Europe christianisée, ce que les commentateurs ont rappelé en Terre Sainte.

70 ans ont passés. On construit une Europe pluri-nationale, un Euro unique… Ici, nous avons le Shekel, la plus ancienne monnaie en circulation. Ici, nous avons la visite de Madonna qui est en Kabbale. Ici, nous avons les haredim qui attaquent notre police et ses chevaux en les traitant de “Nazis”. Ici, le Grand Mufti, comme en 1939, continue de faire des émules. Mais le Ramadan est paisible.

L’Europe a mal à son âme. Ses neurones flanchent et se disperseraient volontiers parmi des mémoires difficiles à rassembler. Il y a 70 ans commençait des conflits que des apprentis sorciers ont peine à maîtriser.

On ne peut exiger de personne le pardon ou la conscience d’atrocités historiques. Il faut une grande patience pour que le temps et un peu de foi réunissent les vivants.

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